attachons-nous maintenant à ce qui devrait constituer le cœur de notre réflexion sur l’Eucharistie : la dernière Cène du Christ et comment le Christ y distribue le pain et le vin consacrés, et en particulier à Judas, pécheur par excellence.
Quand le Christ réunit ses disciples, Judas a déjà décidé de longue date de le livrer et n’entends pas renoncer à son forfait, puisqu’il le commettra le soir-même :
Matthieu 26 15-16, « Alors l’un des Douze, appelé Judas Iscariote, se rendit auprès des grands prêtres et leur dit: « Que voulez-vous me donner, et moi je vous le livrerai? » Ceux-ci lui versèrent 30 pièces d’argent. Et de ce moment il cherchait une occasion favorable pour le livrer. »
et Matthieu 26-47, « Comme il parlait encore, voici Judas, l’un des Douze, et avec lui une bande nombreuse armée de glaives et de bâtons, envoyée par les grands prêtres et les anciens du peuple. Or le traître leur avait donné ce signe: « Celui à qui je donnerai un baiser, c’est lui, arrêtez-le.«
Par ailleurs, le Christ reconnaît lui-même l’état de péché absolu de Judas, puisqu’au cœur même de la Cène, il prononce sa célèbre condamnation « malheur à cet homme-là par qui le Fils de l’homme est livré! Mieux eût valu pour cet homme-là de ne pas naître » (Matthieu 26, 24), et Jésus devant les disciples désigne nommément Judas « Serait-ce moi, Rabbi » – « Tu l’as dit« , répond Jésus. » (Matthieu 26, 25)
Judas est donc en état de péché mortel (intention de participer à un Déicide), ce fait est connu de la communauté (puisque le Christ le dit aux apôtres), et bien évidemment du célébrant lui-même (le Christ). En application de l’enseignement de l’Eglise, le Christ, prêtre par excellence, devrait refuser à Judas de communier.
Et pourtant rien ne permet de dire qu’il ne communie pas et l’enchaînement des événements force même à croire le contraire :
– Matthieu chapitre 26 : au verset 25, Judas est présent puisqu’il parle au Christ (« Serait-ce moi Rabbi »). Dès le verset suivant (26) sans aucune mention d’un départ ou d’un retrait de Judas,, le Christ institue l’Eucharistie (« prit du pain, le bénit, le rompit et le donna aux disciples »). Il eut été facile à l’Evangéliste de dire ne serait-ce que le donna aux autres disciples, mais il ne fait pas.
– Marc chapitre 14 : au verset 20-21, Jésus désigne qu’un des douze le livrera. On peut comprendre au verset 20 « C’est l’un des Douze, qui plonge avec moi la main dans le même plat. », soit comme une désignation explicite de Judas qui à ce moment là mettrait sa main dans le plat soit comme un renforcement de la trahison (un des douze, qui mange avec moi me trahit). Dans les deux cas, au verset suivant (22), le Christ institue là aussi l’Eucharistie sans que l’Evangéliste ne mentionne le moindre retrait de Judas. Comme dans Matthieu, la Communion est donnée indistinctement et collectivement aux disciples. Marc insiste même en disant « et ils en burent tous[», ne laissant aucun doute sur la communion de Judas.
– Luc chapitre 22. Le Christ institue d’abord l’Eucharistie (versets 19,20) et au verset suivant, le 21 il indique qu’un des disciples le trahira
Les trois synoptiques juxtaposent donc l’institution de l’Eucharistie et l’annonce de la trahison sans aucun événement entre les deux, dans deux d’entre deux le Christ désigne d’abord Judas puis institue l’Eucharistie et dans le troisième il institue d’abord l’Eucharistie puis annonce la trahison à venir.
Judas communie donc et c’est le Christ lui-même, devant Saint Pierre lui-même qui lui donne cette communion. Lors de l’institution de la communion, un des douze premiers communiants est donc en état de péché mortel, sans intention de repentir et sans volonté de conversion.
Jésus respecte infiniment la liberté du pécheur sans être d’accord avec lui. Judas communie pour ainsi dire pour sa propre condamnation. Ceci ne veut pas dire que nous sommes autorisés à faire comme Judas. Ce serait une trahison et un blasphème supplémentaire. Il nous faut à mon avis avoir un coeur contrit pour nous approcher du Seigneur. Ce serait à mon avis une grave erreur que de donner accès à n’importe qui à la sainte communion. Aimer le Seigneur sans se reconnaître pécheur est à mon avis une erreur.
Mot intéressant que le mot de blasphème et à manier prudemment, dans l’Evangile il est utilisé essentiellement contre Jésus par les scribes et les pharisien : par les scribes (Matthieu 9,3 ou Marc 2,7 quand il guérit un paralytique ), par le Grand Prêtre au moment de la Passion (Matthieu 26,65 ou Marc 14,64), par les Juifs qui veulent le lapider (Jean 10,33)
Et quand Jésus l’utilise, c’est à nouveau contre les Pharisiens (Matthieu 12,31 ou Luc 12,10)
L’argument du « Blasphème » tel qu’on peut le voir dans l’Evangile me semble donc plutôt aller dans un accès large à la communion
Il ne vous est pas venu à l’esprit que cela s’est produit afin que nous puissions voir que la communion dans le péché ne vous sauve pas. Alors à quoi sert de communier dans le péché, sauf d’en ajouter un autre à la liste, y compris de vouloir être vu par les hommes. Celui qui souffre parce qu’il ne peut pas recevoir la communion dans le péché ne souffre pas assez pour abandonner le péché.
Parce que l’important est d’être en communion dans l’éternité, pas 5 minutes dans une messe, mais plutôt de demander à Judas ce que cette communion valait pour lui.
Communier au corps du Christ nous engage. Le mariage est aussi un engagement envers celui où celle que l’on a choisi.
Il ne s’agit pas, ce me semble, de communier pour communier, mais de vivre une comm(une) union de vie, de pensée, d’amour avec le Christ. Il s’agit de le recevoir pour nous laisser ajuster, configurer à Lui.
Personne n’est digne. Il a toutefois laissé à son Église, qui est conduire par l’Esprit Saint, le soin de lier et de délier. Lancer une pétition pour réclamer un quelconque droit , n’est pas ce me semble dans l’Esprit du Christ.
Merci de votre commentaire. Je suis moi-même mal à l’aise avec cette idée de « pétition ». Je n’ai pas trouvé d’autres solutions pour attirer l’attention de l’Eglise sur cette incohérence fondamentale avec l’Evangile sur l’accès à l’Eucharistie (et pas sur le problème des divorcés-remariés).
J’ai essayé, avant ce site, d’autres moyens :
– j’en ai parlé à des prêtres qui me répondent que l’Evangile soutient ce que je dis mais pas la tradition … et que c’était compliqué dans l’Eglise d’aborder ce sujet …
– j’ai proposé un article sur ce sujet à une célèbre revue Catholique Son rédacteur en chef (prêtre) m’a répondu en me disant qu’il soutenait totalement mon article, en cohérence absolue avec l’Evangile, mais que sa revue ne publiait plus rien sur ce sujet en raison de remontrances véhémentes de la part du Vatican lors de leur dernier article sur ce sujet, mais qu’il m’encourageait à partager mes idées sur ce sujet.
Voilà, si un d’autre vous a une meilleure idée qu’une pétition pour faire bouger les choses et pour pousser à ce que l’Eglise ne se mette pas en travers du Salut, merci à lui de la proposer !
Donc, dans la miséricorde du Seigneur Jésus, j’ai compris que l’Eucharistie est pour tous les chrétiens.
Oui, c’est ce qu’il me semble
Votre analyse de la Cène est vraiment intéressante et, sans remettre en question le fond (Judas a communié et cela doit nous conduire au minimum à nous poser des questions), voici deux points qui m’ont donné à réfléchir:
1. Judas avait-il l’intention de participer à un Déicide ? C’est le plus probable, mais je note que chez Matthieu (26, 15) Judas veut « livrer » (paradidomi, verbe un peu différent de « trahir »). Mais livrer en vue de quoi ? ce n’est pas précisé : le mot « mort » n’est pas écrit. Et Judas est toujours désigné comme « celui qui livrait » (sans plus de précision). Or Judas se suicide (27,3) quand il voit que Jésus est « condamné ». Et Judas dit à ce moment-là : « J’ai livré le sang d’un innocent ». C’est à ce moment-là qu’est indiquée la conséquence de l’acte de Judas (condamnation, mort). Le texte permet donc (j’espère sans trop le tordre!) de penser que Judas n’avait pas réalisé l’évidence : livrer Jésus conduirait à la mort de celui-ci. Peut-on mettre cela en lien avec le fait que celui qui fait le mal est souvent persuadé d’agir pour le bien? Ou qu’il ne réalise pas le mal qu’il commet ? Au chapitre 25, soit juste avant, les « maudits » demandent : « quand t’avons-nous vu avoir faim et ne t’avons-nous pas assisté » ? Ils sont étonnés d’avoir commis le mal. Et cela rejoint « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » – peut-être à prendre, comme le pense R. Girard, au pied de la lettre ?
2. Sans exclure l’intention Déicide (car cela suppose tout de même un Judas bien naïf), Judas n’a-t-il pas aussi tendance à vouloir s’accaparer Jésus (à le mettre au service de lui-même), chez Matthieu en tout cas? « Que voulez-vous me donner et je vous LE livrerai » – Judas ne nomme pas Jésus, qui pourrait aussi bien être une chose dans cette phrase. Puis c’est Judas qui met sa main dans le plat avec Jésus. Main qui peut s’emparer d’une chose, comme par la suite quand il indique aux soldats : « saisissez-le » – le verbe krateo, « s’emparer, » a aussi pour sens « dominer », « devenir le maître ». Enfin, quand Judas dit : « celui que j’embrasserai, c’est lui », c’est le verbe « phileo » qui est utilisé pour ’embrasser ». Mais quand Judas embrasse effectivement Jésus, le verbe change : c’est « kataphileo », qui indique un baiser plus appuyé. Qui peut être le signe d’une grande hypocrisie, ou s’une tentative d’accaparement, de mettre Dieu à son service à soi, de s’en faire sa propre image (dont la représentation qu’en a faite Giotto pourrait être un écho).
On s’éloigne de la communion! Mais je n’ai pas l’impression d’être entièrement hors sujet sur votre site, qui s’attache à réfléchir sur les textes!
Magnifique analyse d’une très belle profondeur.
La lecture en vérité des textes est tellement importante
Merci !
… lien quand même avec la communion « pour tous »: on peut tous avoir tendance (que cette attitude soit celle de Judas ou non) à s’accaparer Dieu, à se fabriquer un Jésus qui nous convient. Quel Dieu se forge-t-on quand on le prend comme caution pour exclure ?